dans le vignoble de Bekaa sud
Vins du Liban 2
Lors d’un récent voyage dans ce pays, j’ai dégusté, à l’aveugle, une quarantaine de vins libanais. J’étais très impressionné par la qualité moyenne des vins rouges, et un peu moins par les blancs. Par la suite j’ai pu visiter un certain nombre des domaines concernés et dont j’avais particulièrement aimé les vins. Ces visites feront l’objet d’un autre article.
Dégustation à l’aveugle du 13/01/2001
La méthode
Chaque domaine a été sollicité pour deux cuvées. Libre à eux de choisir lesquelles, ainsi que le millésime présenté dans chaque cas.
Les vins sont listés, presque toujours, dans l’ordre de leur service, qui fut ordonné (pas par moi, afin de respecter l’anonymat), en commençant par les millésimes les plus anciens. A l’intérieur de chaque millésime, l’ordre était aléatoire. Dans les notes j’ai regroupé les vins par millésime quand ils n’étaient pas toujours ainsi.
La dégustation a eu lieu dans la matinée du 13 janvier 2011, au restaurant le Crave, dans le quartier d'Achrafieh, à Beirut.
Les bouteilles étaient toutes masquées.
Les prix indiqués sont ceux fournis par les producteurs, pour le marché libanais et en dollars US.
a). Les vins rouges
Château Musar 2001 (prix public : $26)
La robe est patinée et bien plus claire que celle de la plupart des autres vins. Clairement un millésime plus ancien. Le nez est aussi fin que complexe, avec toute la subtilité qui vient d’un long elevage, sans influence marquée du bois : notes de cire, d’épice douce, d’écorce d’orange, de foin, de tabac blond, etc. Il est rare de rencontrer une telle complexité aromatique dans un vin en vente actuellement. Matière raffinée et suave, rendue vibrante par une acidité bien intégrée. Ce très beau vin est aussi long en bouche que complexe. Hors normes contemporains (et je note que bon nombre d’œnologues ne semble pas l’apprécier, ce qui montre une triste normalisation du goût !), ce vin me donne une impression de traverser le temps. Il s’agit certainement de Musar !
note : 18/20
Hochar Père et Fils 2004 (prix public $17)
Une autre robe claire et patinée par le temps! La première bouteille avait un soupçon de bouchon au nez. La deuxième dévoile le genre de complexité si difficile à décrire que j’ai trouvé dans le vin précedent, mais d’une manière un peu moins expansive. La bouche est très suave, polie et patinée, autour de belles sensations fruitées qui vont vers de la confiture. Cette belle matière est aussi accessible que chaleureuse et me fait penser à un vieux Rioja. Clairement apparenté au vin précédent, avec un peu moins de complexité. Prix raisonnable pour ce niveau de qualité.
note : 16,5/20
Château Khoury, Symphonie 2004 (prix public $ 15)
Nez assez intense et très attrayant, qui rappelle surtout la prune. La matière est fine, avec le même degré d’intensité qu’au nez. Un vin moderne dans son approche, mais dont les tannins sont fins malgré sa concentration. On peut l’attendre encore quelques années afin de le laisser s’épanouir pleinement. Prix très raisonnable.
note 16/20
Château Bellevue, La Renaissance 2005 (prix public $24)
Le nez est intense mais ne semble pas très expressif à ce stade. Matière dense et un peu massive, avec une pointe d’acidité en finale qui a tendance à durcir l’ensemble (acidification ?). C’est bon mais un peu trop monolithique à mon goût, dans un style assez « international » qui peut plaire.
note 15/20
PS. J’ai dégusté le 2006 de ce même vin à la propriété et l’ai trouvé mieux équilibré et plus fin.
chai à barriques de Château de Bellevue, région Mont Liban
Wardy, Private Selection 2005 (prix public $40)
Le nez mêle notes boisées avec un beau fruité de type cerise noir. Une belle structure, qui reste relativement austère et qui encadre solidement une matière chaleureuse qui comporte, en parallèle, une sensation de fraîcheur. Je ne suis pas totalement convaincu par l’équilibre et l’harmonie, mais c’est un bon vin ayant du caractère. Son prix me semble élévé par rapport à d’autres.
note 15/20
Wardy, Château les Cèdres 2006 (prix public $13)
assemblage : cabernet sauvignon, syrah, merlot
Un bon nez de fruit, typé cabernet sauvignon. Mais ce vin semble confus et un peu agressif en bouche, avec des tannins qui assèchent la finale.
note 13/20
Château Saint Thomas 2006 (prix public $22)
assemblage : cabernet sauvignon, merlot, syrah
Un beau nez qui donne une impression de volume. Vin plus serré et austère en bouche, avec des tannins qui assèchent la sensation de fruit. Trop extrait probablement.
note : 13/20
Ksara, Cuvée du Troisième Millénaire 2006 (prix public $24)
Au nez, une belle expression fruitée, assez dense, dont les arômes évoquent le cassis. Vin élégant, reliant structure et fraîcheur autour de saveurs fruitées qui rappellent les fruits à noyaux. Bonne longueur.
note : 15/20
Château Khoury, Symphonie 2006 (prix public $12)
Le nez dévoile un soupçon de volatilité, pas désagréable, autour d’un fruité chaleureux. En bouche ce fruit est net et groumand, souligné par une touche de fraîcheur. Bien structuré pour un vin à ce niveau de prix.
note : 14,5/20
Domaine des Tourelles, Marquis de Beys 2006 (prix public $22)
Assemblage : Syrah et Cabernet Sauvignon (50/50)
Un très joli nez, avec des arômes de fruits rouges et noirs. Gourmand et juteux en bouche, avec des tannins présents mais bien intégrés. Très bon vin avec une bonne longueur.
note : 16/20
Bargylus 2006 (prix public $19).
NB. ce vin vient de Syrie, mais est élaboré par la même équipe que Marsyas.
Nez chaleureux et très attrayant. En bouche, une belle présence de fruit, et de la gourmandise comme ligne de conduite. Assez long et très bien fait.
note : 16/20
Côteaux du Liban, Château 2007 (prix public $10)
assemblage : syrah, cabernet sauvignon, merlot
Le nez est agréable, chaleureux et fruité (fraise). C’est net et bien fait. Un bon standard à ce niveau de prix.
note : 14/20
Ksara Château 2007 (prix public $11)
assemblage : cabernet sauvignon, merlot, petit verdot
Dans le même registre mais en moins bien. Des tannins secs qui dominent le fruit.
note : 13/20
Château de Botrys, Château des Anges 2007 (prix public $20)
assemblage : syrah
Vin très juteux, avec pas mal de structure derrière cette jolie matière. Les tannins sont longs et l’ensemble puissant. Tout n’est pas encore parfaitement harmonieux, car l’apparence reste un peu massif et imposant, mais c’est prometteur.
note 15/20
Domaine de Baal 2007 (prix public $25)
assemblage : cabernet sauvignon, merlot, syrah
Le nez est complexe, autour de notes de cuir, d’épices et de viande. Cela paraît donc nettement plus évolué que le vin précedent, pourtant du même millésime. J’aime bien la délicatesse de ses arômes. Les sensations fruitées en bouche sont gourmandes et presque sucrées au départ, mais se resserrent ensuite autour de tannins encore solides. Vin de caractère.
note : 16/20
Massaya, Silver Selection 2007 (prix public $10)
assemblage : cinsault, grenache, cabernet sauvignon blanc, mourvèdre
La robe est peu intense mais la matière est belle, bien équilibré entre chaleur, fraîcheur et une certaine structure. C’est une réussite à ce niveau de prix.
note : 14/20
Clos St. Thomas, Les Emirs 2007 (prix public $12)
assemblage : cabernet sauvignon, syrah, grenache
Le nez semble terreux et poussièreux. En bouche la sensation est assez pleine, avec des tannins un peu anguleux. Relativement simple et pas totalement net.
note : 12/20
Domaine des Tourelles, Syrah du Liban 2007 (prix public $38)
Les nez est aussi fin que pur, faisant montre d’un élévage luxueux et très soigné, ainsi que d’une tonalité fruitée raffinée qui m’a fait penser à certains grands vins d’Italie. En bouche, l’intensité des saveurs (cerises amères) renforce cette impression italienne, avec des tannins fins et soyeux et une très belle équilibre.
Un très beau vin, moderne mais raffiné. Il vaut son prix relativement élévé.
note : 17/20
Côteaux de Botrys, cuvée de l’Ange 2008 (prix public $14)
Bon fruit pour un joli vin plein de gourmandise. De la fraîcheur et de la structure.
note : 14/20
Adyar, Expression Monastique 2008 (prix public $10)
assemblage : 40% Mourvedre, 30% Syrah, 30% Grenache
Un nez expressif et chaleureux, avec des notes de moka. En bouche, c’est juteux et fine de texture. Sensation aérienne bien agréable. Très bien fait et d’un prix raisonnable.
note : 14,5/20
Adyar, Monastère de Mar Moussa 2008 (prix public $18)
assemblage : 40% Syrah, 30% Cabernet-Sauvignon, 30% Mourvedre.
Deuxième vin dégusté de cette coopérative qui fédère 8 monastères maronites dans différents secteurs du pays. Celui-ci apparaît plus épicé dans son expression, aussi bien qu’au nez qu’en bouche. Cete accent très « sudiste » est très seyant car la matière est belle, même si l’équilibre n’est pas parfait.
note : 14,5/20
Massaya, Gold Reserve 2008 (prix public $23)
assemblage : cabernet sauvignon, mourvèdre, syrah
Le nez nécessite de l’aération à ce stade (réduction). La matière est assez intense et serrée, avec des tannins fins, encore jeunes. Aura besoin d’un peu de temps, mais très prometteur.
note : 15/20
Ixsir, Grande Réserve 2008 (prix public $17)
Les nez, autour d’un bon fruité, est assez fin. Présence de notes boisées dans des limites raisonnables. En bouche, sensation charnue avec des tannins mi-veloutés, mi-rugueux et une matière vivante mais encore un peu rustique. Belle longueur pour ce vin énergique.
note : 14,5/20
Château Marsyas 2008 (prix public $22)
Le nez est d’abord singulier (vernis à ongle) et nécessite une bonne aération. En bouche une très belle matière chaleureuse avec une texture suave. Les tannins sont bien fondus dans un ensemble puissant qui démontre une belle présence fruité. Dommage pour le nez.
note : 15/20
Conclusions sur les vins rouges
Très bon niveau d’ensemble de cette série de vins. Cela signifie que les vins libanais peuvent, sur le plan qualitatif, se mesurer à la production de tout pays ayant un climat similaire, de type méditerranéen. Parmi les points faibles, on doit souligner que la plupart de ces vins, hormis Musar et son second vin, ont des styles assez proches. Cela vient sans doute du fait que presque tous les assemblages (la plupart étant issu d’assemblages) utilisent les mêmes cépages, cabernet sauvignon, syrah et merlot en tête, et en partie parce que que le climat est globalement identique partout dans le pays, hormis le facteur d’altitude. On peut ajouter que les sous-sols sont aussi tous de type calcaire, avec plus ou moins de cailloux, d’argile ou de sable dans les sols. Parfois les sols sont ferrugineux, comme dans la photo ci-dessus. Tout cela implique que, si les méthodes de vinification utilisées suivent les canons de l’oenologie moderne, il reste uniquement des approches de culture et des détails dans la vinification pour faire varier les styles des vins : dates de vendanges, tries ou non-tries de raisins, durées de macération et approches de l‘élévage.
Si je dois émettre deux souhaits pour l’avenir des vins libanais, cela serait de voir s’introduire davantage de diversité dans l’encépagement, et d’assister à un zonage plus précis et fiable des sources des raisins, à mentionner sur les étiquettes. Je ne dis pas que chacun doit produire des vins uniquement à partir de sa propre production, ni éviter d'assembler des origines diverses, mais simplement qu’il serait utile pour l’émergence de styles distinctes, liés à des orgines diverses, de savoir précisement quelles sont ces origines pour chaque vin. Pour le moment, on est dans un flou « artistique ». Sur le plan de la diversité de l’encépagement j’ai vu, au cours de 4 journées de visites effectuées dans différentes zones du vignobles, quelques signes encourageants : un peu de petit verdot ou de cabernet franc par çi, des expériences avec du sangiovese, du tempranillo ou du malbec par là.
Pour revenir à Musar, un vin qui divise un peu les opinions (le mien est clairement exprimé ci-dessus), il n’est pas fortuit que ce vin fait appel, entre autres, à du carignan et du cinsault, cépages très anciennement établis dans ce pays, à côté du roi cabernet sauvignon. Dans ce climat chaud et aride, j’étais surpris que peu de domaines aient planté du grenache, par exemple. Il semblerait que Musar, encore lui, soit un des rares à le faire (Clos St. Thomas aussi). Le mourvèdre pourrait aussi offrir un potentiel intéressant, particulièrement dans la zone côtière (ou proche de la côte) entre Batroun et Kfifane, entre Beirut et Tripoli, qui voit émerger quelques nouveaux producteurs intéressants. Adyar et Botrys exploitent déjà un peu ce cépage dans cette région, et on en trouve aussi dans le région de Bekaa, utilisé par Massaya et d’autres.
b). les vins blancs
Château Musar 2004 (prix public $26)
Encépagement : merwah, obadieh
Encore un vin à part. Nez qui évoque le cire et le miel, ansi que des légumes vertes et blanches et des pommes un peu blettes. C’est unique et, pour moi, très beau. La bouche est tout aussi étonnante : j’ai senti des saveurs proche du fruit confit et du gingembre. C’est tout le contraire d’une saturation par la puissance des saveurs. Ce vin est vibrant et on y revient avec plaisir. Ce travail qui joue à cache-cache avec l’oxydation et ses altérations progressives de la matière du vin est porté içi au niveau d’un art. Mais c’est assurément un goût acquis. Pour quelqu’un élévé sur les saveurs des finos de Xérès, l’apprentissage est fait !
note : 16/20
Domaine de Baal 2008 (prix public $18)
Encépagement : chardonnay, sauvignon blanc
Un beau nez qui mêle aromes de fruits blancs et jaunes. La matière en bouche apparaît presque sucrée au début, puis se reserre sur une sensation de fraîcheur. La part du chardonnay et un élavage partiel en bois apportent des notes épicées et une finale chaleureuse. Bon vin ayant de la finesse.
note : 14/20
chai à barriques, Domaine de Baal, Bekaa
Château Khoury, Rêve blanc (prix public $7)
Encépagement : riesling, gewurztraminer, chardonnay,
Cet encépagement original a produit un vin très plaisant, vif et délicat. Le nez allie vivacité et notes de fruits murs. Elegance et bon équilibre sont au rendez-vous en bouche. Joli vin pour un apéritif à un prix très raisonnable.
note : 14/20
Clos St. Thomas, Les Gourmets blanc (prix public $7)
Encépagement : sauvignon blanc, chardonnay
Le nez est très « bonbon anglais ». Matière assez fine mais peu complexe. Vin plaisant.
note : 13/20
Ixsir, Attitudes 2009 (prix public $9)
Le nez est curieux, rappellant la transpiration ! Pommadé en bouche. Pas du tout mon style, et clairement ayant des défauts.
note : 9/20
Ixsir Grande Réserve 2009 (prix public $13)
Nez de serpillière (trop de soufre probablement). Assez standard et ordinaire, sans relief.
note : 10/20
Côteaux de Botrys, Prince blanc 2009 (prix public $12)
Nez de fruits exotiques. La bouche est curieuse car il y a une présence marquée de gaz et un fruité assez chimique.
note : 10/20
Côteaux du Liban, Blanc du Clos 2010 (prix public $8)
Encépagement : chardonnay, viognier
Assez ordinaire : chaleureux et manquant de relief
note : 11/20
Kefraya, blanc de blanc 2010 (prix public $9)
Nez de bonbon anglais. Vin très standard
note : 11/20
Wardy, Sauvignon blanc 2010 (prix public $8)
Une certaine tenue par une acidité bien présente, et une pointe d’amertume en finale.
note : 12/20
Ksara, Chardonnay 2009 (prix public $12)
Une belle matière un peu trop masquée par un boisé marquée. Vin agréable mais un peu lourd et manquant de relief.
note : 12,5/20
Bargylus blanc 2009 (prix public $31)
Vient de Syrie mais élaboré par l ‘équipe de Marsyas.
Nez moyennement expressif. Une matière raffinée mais sans grande complexité. Plaisant mais bien trop cher pour ce niveau de vin.
note : 13/20
Marsyas blanc 2009 (prix public $15)
Un bon vin assez directe et simple. Désaltérant mais pas fascinant.
note : 13/20
Conclusions sur les vins blancs
Sur la base de cette dégustation, je ne peux que constater un grand écart entre la qualité moyenne des vins rouges et des vins blancs du Liban. Il est vrai que j’ai pu déguster, plus tard et à la propriété, d’excellents vins blancs du Domaine Wardy, mais, dans cette série, il y avait trop de vins ordinaires ou ayant des défauts. Je ne suis pas certain que les cépages utilisés, largement dominés par le chardonnay et le sauvignon blanc, constituent la bonne voie pour les blancs du pays. On essaie pas mal le viognier, mais (encore une fois hormis un vin de Wardy), ces vins ne m'ont pas convaincu. Sur la plan géographique et climatologique on est dans une configuration très méditerranéenne, semblage au Languedoc, au Roussillon ou à des zones de l'Espagne. Je pense qu'il faudra essayer des plantation plus en altitude et probablement d'autres variétés. Une fois de plus, Musar se singularise en utilisant deux cépages autochtones, dont le merwah me paraît particulièrement inétressant. L'autre, l'obadieh, est la variété utilisée pour l'arak (quand celui-ci est fait avec des raisins, ce qui n'est plus obligatoire!).
vignes dans le sud de la vallée de Bekaa
Toutes les photos de cet article sont de David Cobbold
PS. An English version of this article will appear tomorrow